Mettez une dose de sexo dans vos oreilles et écoutez ma chronique mensuelle sur Fréquence Mistral:
En savoir plus : décrypter l'infidélité avec les sciences humaines et sociales
L’infidélité, souvent perçue comme une trahison intime est aussi un phénomène social et culturel qui traverse les époques et les sociétés.
Il est donc pertinent de ne pas l'appréhender uniquement comme le résultat d'une faille individuelle ou d'un dysfonctionnement du couple ainsi que le montrent les recherches récentes en sociologie, anthropologie et philosophie qui permettent d’en saisir toute la complexité.
L’infidélité n’a pas une seule définition universelle. Elle varie selon les contextes culturels, les époques et les structures conjugales. La sociologue Charlotte Le Van, dans son ouvrage Les quatre visages de l’infidélité en France (2022), propose une classification en quatre types d’infidélité :
L’infidélité marginale : éphémère et souvent dissimulée, elle ne remet pas en cause la relation principale.
L’infidélité de compensation : elle survient en réaction à un manque perçu dans le couple (affectif, sexuel, communicationnel).
L’infidélité de rupture : elle devient un levier pour mettre fin à une relation.
L’infidélité revendiquée : elle repose sur une conception non exclusive du couple et s’affiche plus ouvertement.
Ce travail met en lumière le fait que l’infidélité n’est pas qu’une question morale : la façon dont elle est vécue et interprétée dépend des représentations culturelles et des normes de genre : les femmes infidèles, par exemple, sont encore souvent jugées plus sévèrement que les hommes.
Dans une autre approche sociologique, Marie-Carmen Garcia, dans Amours clandestines. Sociologie de l’extraconjugalité durable (2019), s’intéresse aux relations extraconjugales qui s’inscrivent dans la durée. À travers des entretiens approfondis, elle montre que ces relations secrètes ne sont pas forcément synonymes d’instabilité émotionnelle ou de volonté de rupture.
Certains couples illégitimes développent des formes profondes d’attachement, construisent des rituels et des codes spécifiques, et organisent leur vie autour de ce double engagement. Contrairement à l’idée que l’infidélité ne serait qu’un écart ponctuel, ces situations montrent que des relations clandestines peuvent durer des années, voire toute une vie.
Si l’infidélité est souvent pensée à partir du modèle conjugal occidental, l’anthropologie rappelle qu’il existe une grande diversité de rapports à la fidélité dans le monde. Françoise Héritier, dans ses travaux sur la parenté, a montré que les interdits et les attentes autour de la sexualité et de la fidélité sont avant tout des constructions sociales.
Dans certaines sociétés polygames, la fidélité n’a pas le même sens que dans un couple monogame occidental. À l’inverse, dans d’autres cultures, l’adultère est sévèrement puni, notamment lorsqu’il concerne les femmes, illustrant ainsi le poids des normes de genre dans la perception de l’infidélité.
Les recherches anthropologiques de Maurice Godelier ont également mis en évidence que le mariage n’a pas toujours été conçu comme un espace d’exclusivité sexuelle. Certaines sociétés traditionnelles, comme les Na en Chine, n’ont pas de concept de mariage stable : les relations sexuelles sont libres et ne donnent pas lieu à une institutionnalisation du couple.
Dans son ouvrage La philosophie du couple et la question du désir, le sociologue Éric Fassin explore la tension entre désir et fidélité, en questionnant le rôle de la norme sociale dans la construction de l'engagement affectif et sexuel. Il analyse comment la fidélité, loin d'être un concept universel, est devenue une norme incontournable dans nos sociétés contemporaines, particulièrement dans le contexte des relations monogames.
La fidélité comme norme sociale face à l'infidélité
Fassin s'intéresse à l'évolution de la monogamie et de la fidélité, qui, selon lui, ne sont pas des valeurs naturelles ou universelles, mais des constructions sociales qui se sont imposées progressivement au fil de l'histoire. Il rappelle que, dans de nombreuses cultures à travers le temps, la fidélité n'a pas été une norme stricte, et que la polygamie, ou même la tolérance de l'adultère, était parfois acceptée dans certaines sociétés.
Dans le contexte occidental moderne, en revanche, la fidélité devient un impératif moral, une valeur centrale du couple hétérosexuel, notamment sous l'influence du christianisme et des normes bourgeoises. Aujourd'hui, cette norme est inscrite dans les attentes sociales et juridiques du mariage, de l'amour et du couple. Le mariage, en particulier, est souvent perçu comme une union exclusive, dans laquelle l'amour et le désir doivent rester figés.
Le désir humain : un phénomène changeant et pluriel
Cependant, pour Fassin, cette pression pour maintenir la fidélité dans le couple ignore un aspect fondamental de la nature humaine : le désir. Selon lui, le désir n'est pas un état constant et figé, mais un phénomène dynamique, fluctuant, et multiple. Il s'exprime à travers des besoins et des fantasmes qui peuvent évoluer au fil du temps et des expériences. En ce sens, la fidélité devient un problème moral et psychologique, car elle impose un cadre rigide qui ne correspond pas toujours aux réalités du désir humain.
Fassin plaide ainsi pour une approche plus fluide de l'engagement. Il met en lumière que, si la fidélité est une valeur importante pour beaucoup, elle ne doit pas être vécue comme une contrainte oppressive, mais plutôt comme un choix conscient, nourri par la confiance et le respect mutuel. La question du désir, selon lui, est d'autant plus complexe dans ce contexte : comment concilier le désir de l'autre avec le besoin de préserver une relation stable et exclusive ? La fidélité, dans ce cadre, peut se transformer en une forme de négociation constante entre l'amour, le désir et la réalité du couple.
Le couple, entre idéal de fidélité et infidélité
Fassin fait également un lien entre la pression sociale de la fidélité et la manière dont les couples contemporains vivent leurs relations. Selon lui, l'idéalisation du couple monogame peut mener à des frustrations, voire à des crises, quand le désir ne suit plus. Cette tension, qui émerge entre l'idéal de fidélité et la réalité du désir, devient un terrain fertile pour les conflits, mais aussi pour une remise en question des pratiques amoureuses et sexuelles traditionnelles. Il soutient que pour que le couple soit un lieu de véritable épanouissement, il est nécessaire de repenser l'exclusivité et la fidélité sous un angle plus ouvert, moins contraignant.
Mais ce texte n'est pas un plaidoyer pour l'infidélité !
Car la fidélité est souvent associée à une plus grande stabilité émotionnelle au sein du couple. Elle favorise un climat de confiance mutuelle, essentiel pour le développement d'une intimité profonde et d'une communication ouverte. Les couples fidèles ont tendance à mieux gérer les conflits et à exprimer une satisfaction relationnelle plus élevée, ce qui contribue à une meilleure santé mentale et émotionnelle des partenaires.
D'un point de vue philosophique, la fidélité est souvent considérée comme une vertu essentielle qui soutient d'autres valeurs morales. Elle est perçue comme un engagement volontaire envers l'autre, reflétant une constance dans les sentiments et les actions. Le philosophe André Comte-Sponville souligne que la fidélité, soutenue par la mémoire, est non seulement une vertu en soi, mais aussi le fondement d'autres vertus telles que la justice, la paix, la liberté et la vérité. Sans la fidélité des individus engagés, ces valeurs perdraient de leur substance.
Conclusion
La fidélité conjugale, au-delà de son aspect moral, offre des avantages significatifs en termes de stabilité émotionnelle, de satisfaction relationnelle et de développement personnel. Les perspectives neuroscientifiques, psychologiques et philosophiques convergent pour montrer que la fidélité contribue non seulement au bien-être individuel, mais aussi à la solidité et à la durabilité du couple. Pour autant il est important de ne pas l'appréhender uniquement comme une norme qu'il convient de respecter mais comme un véritable choix qui sous-tend une conception particulière de la relation conjugale et/ou familiale. Parler d'infidélité, de fidélité, de confiance et de désir pour autrui est incontournable pour une pouvoir vivre sereinement des relations affectives et sexuelles avec ceux qui nous sont chers.

Comments